L'enfant
mensonge
lundi 4 avril 2005, par viviane
Lamarlère
Toujours dans la série du
mensonge.. Une histoire vraie.
Transcription de l'écoute d'une
famille qui accueille une enfant abandonnée par sa
mère.
Bonjour ! Je m'appelle M... et
j'aimerais vous raconter mon histoire. Elle n'est pas
très amusante, mais elle est vraie.
J'ai 15 mois. Je pesais trois kilos
à ma naissance, aujourd'hui j'en pèse un peu
plus du double. A peine.
Ma mère m'a portée en
niant son gros ventre et mes doigts qui poussaient vers ses
dehors.
-Maman est-ce que tu m'aimes ?
Est-ce que tu as aimé mon
père ?
-Madame, vous n'avez pas conscience
que vous êtes enceinte ?
-Mais non je ne suis pas enceinte.
C'est de l'aérophagie.
Le jour où je suis née,
elle m'a posée là, comme on pose un paquet,
sans plus .
Il a fallu la forcer pour qu'elle me
ramène à la maison.
-Maman, j'ai faim et froid et peur,
prends moi dans tes bras..
-Madame, vous voyez bien que c'est
votre bébé, touchez votre ventre, il est tout
plat.
-Mais non ce n'est pas mon
bébé, c'est celui de ma
mère.
Un jour, une dame est venue à
la maison parce que le facteur avait remarqué qu'on
me faisait dormir dans la panière du
chien.
Moi, ça ne me dérangeait
pas. Mais il paraît que cela ne se fait
pas.
Il y a eu un jugement parce qu'en plus
on me tapait sur la tête.
Et que j'avais plein de bleus. Moi,
ça ne me dérangeait pas, parce que sur la
tête, je ne les vois pas, pas plus que ceux qui sont
dans mon dos et les brûlures de cigarette sur mes
bras. D'ailleurs je ferme les yeux tout le temps pour ne pas
voir. Rien voir. Rien entendre. Rien comprendre.
-Maman pourquoi essayes tu de me
briser ?
-Madame, nous allons être
obligés de placer votre bébé dans un
institut spécialisé. il faut vous
reprendre.
-Ce n'est pas mon enfant, je n'ai
jamais eu d'enfant.
Et puis, là- dessus, j'ai fait
une grave bronchite. J'avais trois mois. On m'a
laissée deux mois à l'hôpital . Ma
mère n'est venue qu'une fois avec tous ses copains.
Comme on vient voir un objet non identifié, comme on
va au ciné, comme on va au musée ou au
cimetière.
Moi ça ne me dérangeait
pas, parce que je voulais déjà mourir et ne
mangeais plus et ne criais plus.
Alors, le médecin a dit que
malgré mon tout jeune age, je faisais une carence
affective et de l'anorexie et qu'il fallait de toute
urgence me placer à la Dass. J'y ai passé dix
mois, dans un institut où les enfants
attendent...
Je vis depuis deux mois dans une
famille très gentille.
Hier, la dame qui prétend
remplacer ma maman a essayé d'ouvrir mes poings qui
sont toujours fermés et ne veulent plus accueillir la
vie, ni les jouets ni les caresses. Elle me dit que c'est
doux les caresses. Mais c'est faux, cela fait mal les
caresses quand on les reçoit trop tard.
Elle a essayé de me faire
répéter des mots, mais je n'en ai pas
envie. Elle me dit que c'est important de se parler,
mais c'est faux : pour dire quoi et à
qui ?
Elle m'a prise dans ses bras et je
l'ai repoussée. Vous comprenez, cela étouffe
des bras quand on n'en a jamais connu la chaleur. Elle me
dit qu'elle va m'aimer, mais elle ment. Elle dit ça
juste pour m'apprivoiser et ensuite me faire croire tout ce
qu'elle voudra. Mais je ne serai plus jamais dupe. Plus
jamais.
Je voudrais être un
oiseau.
Et puis elle essaye de me faire
marcher, mais je ne sais que dormir. Fermer les yeux, faire
le néant.
Elle me force à manger et je me
force à vomir.
Je ne lui en veux pas, à
l'autre, la vraie, la mère. Celle qui a à
peine 18 ans aujourd'hui.
Non. Juste, elle aurait pu me dire et
se dire la vérité. Ne pas nous
mentir.
Parce que la seule chose qui soit
vraie, c'est que je n'existe pas et n'en ai aucune envie.
Niée. Morte-niée, morte-née. Je suis
à moi toute seule l'incarnation d'un
mensonge.